19.2.06

max marcuzzi

Je débouchai dans une large clairière en plateau jusqu’à l’à-pic d’un ravin. Il y avait des vêtements épars dans l’herbe. Des miliciens m’ordonnèrent de me déshabiller. Comme j’hésitai, un homme qui me ressemblait comme un jumeau s’approcha et me frappa, tandis que deux autres tout pareils arrachaient mes vêtements sans que je sache s’ils riaient ou criaient de rage. Puis on me poussa au bord du ravin. Tout en marchant le plus doucement possible sous les bourrades, je vis sur ma gauche le mitrailleur, assis à une quinzaine de mètres de moi sur un petit tabouret pliant, derrière la mitrailleuse montée sur un court trépied, pointée vers le ravin. Il fumait placidement en me regardant avancer du coin de l’oeil, et je fus pris d’un bref vertige, comme lorsqu’on ne sait plus de deux train lequel est immobile, lequel en mouvement. Il ressemblait aux trois autres, et à moi-même à un point confondant. Quand j’arrivai au bord du ravin, je penchai la tête en avant, et, découvrant l’immense histoire qui m’avait précédée, me demandai, désemparé, « et maintenant, quelle histoire vas-tu donc raconter, Max ? »



14.2.06

isabelle Barat, en... sténopé

Je me disais : " Comment ça va se passer ? "
Je me disais : " Je lui poserai des questions. Elle me racontera sa vie, ses déboires, ses rêves, sa famille. "
Je me disais : " Laisse venir, on verra. Ne planifie pas. "

En fait, ça s’est passé très simplement, très étrangement. Isabelle est arrivée chez moi avec son grand sourire, ses pommettes hautes, sa tignasse blonde, son " baluchon ". C’est elle qui appelle ça comme ça, " mon baluchon ". Elle m’avait envoyé un mail, la veille : " Je prépare mon baluchon, sinon j’emporte toute ma maison avec moi. " En réalité, c’était une serviette en plastique transparent, remplie d’objets. Chez Isabelle, le baluchon est un concept. C’est aussi cette voiture miniature – tendance coquille de noix - où elle imaginait, petite, devoir emporter l’essentiel pour sa vie d’adulte. Pendant que d’autres comptaient des moutons pour s’endormir le soir, elle, remplissait mentalement des arches de Noé de la taille d’une coquille de noix. Tri sélectif. Ascèse spirituelle de fillette. Le baluchon, c’est encore ce sac à dos en toile qu’elle portait sur le dos, quand elle est partie marcher, en Ecosse, l’été dernier. Dedans, il y avait un grand cahier vert et noir rempli de notes en anglais, de graffitis, de collages. " Ce dont j’ai besoin, je l’ai sur moi. Le reste ne compte pas. "
Ce qui compte, ce qui ne compte pas.
Elle me montre un agenda jauni, de la taille de mon petit doigt, qui a appartenu à sa grand-mère. Toutes les pages sont vides, sauf la date du 17 mai 1984 : " Mon pauvre François ", avec, en contrepoint, la photo du grand-père défunt. Une année de pages blanches et trois mots. " Tu vois, pour moi l’écriture, c’est ça. Ce qui a impérativement besoin d’être là. "

On a fait du café. Posé le réveil matin à côté du canapé, pour se chronométrer. Une idée d’Isabelle. Ce jour-là, c’est elle qui posait les règles et moi, je suivais. Elle marchait en parlant, vivante et enjouée. Et moi, sur la table, je voyais s’étaler des bribes de sépultures, des fragments de pierre tombale, des os, un vieux livre de Dracula.
Elle me dit : " J’ai fait un travail sur les cimetières. " Rien de macabre pourtant dans sa voix. " J’ai longtemps gardé un fémur chez moi. C’est arrivé par hasard. J’accompagnais ma grand-mère au cimetière, et l’on traversait un endroit où ils changeaient les concessions arrivées à terme. J’ai tiré sur un petit bout de truc qui dépassait du sol, tiré encore, par curiosité, et je me suis retrouvée avec un fémur dans la main. On fait quoi, dans ce cas ? Un os humain, c’est précieux, ça ne se jette pas comme un vieux déchet, comme un rien. Prise au dépourvu je l’ai mis dans mon sac, j’avais un sac à main très chic ce jour-là, et je l’ai ramené chez moi. "
Je l’imagine dans le métro, avec son sac à main très chic et son fémur humain. La gardienne. Souriante, blonde. Imprévue. Gardienne de quoi ?…
Mes yeux tombent sur les photos de balayeurs qu’Isabelle avait prises à Londres, deux ans plus tôt.
Gardienne de quoi ?
… De ce qui reste, peut-être, quand le balayeur est passé. Grains de poussière imaginaire.
Il y avait encore mille autres objets. Un petit âne en peluche, un exemplaire d’Alice au pays des merveilles, une carte de visite de l’agence Bob, créée avec une amie : " Résultat garanti, mais pas forcément celui attendu ". Une vieille plaque de journal, des ailes d’ange en céramique trouvées dans un champ, des sténopés. Beaucoup de questions à poser, de pistes à dérouler. Mais tout s’est emballé : ma fille qui s’était réveillée, André qui me rappelait un rendez-vous place des fêtes où il était question de crêpes… Isabelle a aussitôt rangé ses objets, bises, sourire, et hop ! disparue. Sur le moment, j’étais un peu frustrée. Mais au fait, je sais même pas l’âge qu’elle a ! Ni ce qu’elle a écrit, publié, ses projets, ses emmerdes… Toutes les questions qu’on pose d’habitude, quand on veut connaître quelqu’un, quoi ! La détective de l’agence Bob m’avait filé entre les doigts. Et puis, sur le chemin, la sensation est passée. La petite babillait dans sa poussette, il faisait frais, mais pas plus que ça. J’ai pensé : c’est comme ça. Elle m’a donné ce qu’elle voulait donner. Montré ce qu’elle voulait montrer. Ni plus ni moins. Ombres, clartés. Comme ses sténopés qu’elle avait développés – des photos écrasées de lumière où le sujet (mais c’est quoi, le sujet, au fait ?) reste dans le noir, et où l’on voit ressortir, étrangement, quelques griffures du mur, taches de peinture que l’on n’aurait pas discernées à l’œil nu. Mais après tout, c’est quoi, l’essentiel ? Ce jour-là, c’est Isabelle qui a réglé la focale. C’est elle qui m’a dit : " Voilà. La tache de peinture sur le mur. Des ailes d’ange dans un champ d’Hénouville. Un petit morceau d’os. Pour moi, ça compte. Et je te montre ça". Quelques traces, griffures de temps sur l’os, et beaucoup de mystère.

Isabelle Renaud

Françoise Malène contre toute attente

Naît contre toute attente.
Voit dans l’enfance une mauvaise passe
Dort beaucoup. Aime ça.
La question de l’ordre ou plutôt du désordre qui s’installe avec elle dans chaque pièce lui apparaît vite cruciale : le monde serait-il sans cesse à ménager ?
Elle perd énormément : des gants, des parapluies, des sacoches, des clefs et même son manteau.
Parfois on les lui rapporte.
Elle en est reconnaissante et gênée.
Dans sa poche, il y a toujours des petits bouts de mouchoirs en papier qui à force se délitent ; quand elle sort une clef de sa veste ou une carte, ils tombent par terre ou, chez le médecin, sur la moquette. Comme il serait encore plus gênant de se baisser pour les ramasser, elle les laisse-là mais se demande toujours ce qu’ils font, les autres, de leurs kleenex pour qu’ils ne s’en aillent pas ainsi en morceaux.
Parfois ce sont des bouts de vie, morceaux fripés du temps qu’elle laisse choir sur la feuille.
Il faut être juste : elle reçoit aussi beaucoup, et avec plaisir, surtout ce qui est immérité. Ainsi, elle doit son nom au tango à Malena bien qu’elle soit incapable de danser et surtout le tango.
Assez tôt, elle a séjourné en Grèce antique, puis dans d’autres contrées lointaines. Comme si on pouvait s’y payser.
Ici, elle travaille.
Fait la cuisine.
Boit du bon vin en compagnie.
Elle n’a pas pensé à construire.
En ce moment, elle marche beaucoup.
Elle aime l’œil.

Lionel Dax, en mots clés

D'abord Bordeaux océan - toujours océan aujourd'hui - bagatelle pour une naissance - vignes et châteaux - puis Paris hors les murs - Aulnay 3000 Staline - Champignon urbain atomique - famille nucléaire libido-active - et Charenton - métro Liberté - folie de chez Sade - tante porno et oncle Tardieu - lycée Paul Valéry - Bataille et option cinéma - cercle la nuit - lectures écritures - Osmose - amours variées - voyages en Italie - théâtre et art - Nietzsche et ses fragments - tout Debord - Progrès de Céline - évidemment Ironie - http://ironie.free.fr - rencontres - lectures écritures - Lascives et Caresse - Venise et Tintoret - Voltaire et Vauvenargues - voyages toujours - le dernier : Amsterdam - luxe, calme et volupté - maintenant [Corps-Texte].

Isabelle Renaud et les choses brillantes

Et isabelle gagne le milieu de la scène :
Un sac en cannettes de bière, huit ans de sa vie en Afrique, trois mois en Bolivie après un diplôme de journalisme, reportage sur la coca.
Des choses brillantes dans une boîte à thé, les choses brillantes sont jolies, la boîte de fer aussi, les choses brillantes viennent de son enfance, certaines lui ont été données par sa grand-mère, elle les avait oubliées, c’est une nouvelle enfant qui les a découvertes, qui les met, les enlève, les met, les enlève.
Un code de la route, conduire, pouvoir aller partout n’importe quand.
Un air de piano pour rire, romans roses à l’eau, bâton trempé dans l’eau sucrée, freezer, sucer, pas de goût mais c’est frais mais ça ne rapporte pas mais l’argent ça brille moins que les choses brillantes. Volets tirés contre l’herbe rase, le yaourt rose est sur la table basse, pas de morceaux, faire des crêpes à l’huile ou bien dans le beurre. Cheval-lou, mariée sur un tape-cul dans un jardin d’enfants,
balance-toi tout en haut de l’arbre,
patte de chat patte de chat patte de chat

ibarat

12.2.06

Sophie Coiffier

1. Sophie pourrait se dire qu’elle approche de sa définition, qu’elle a rempli quelques-unes de ses missions, qu’elle a su se préserver, découvrir, rencontrer. Mais de là où je suis, je la vois toujours comme une approximation.

2. C’était par une belle journée d’été, par un ténébreux après-midi d’automne, c’était passé midi, de l’autre côté d’un pont, c’était autour de la vallée, au bout du chemin, que j’ai compris qu’il ne s’était rien passé encore.

3. Un kilo de chair à saucisses, 5 tomates à farcir, un sachet de riz, des céréales pour le petit-déjeuner, des yaourts, de la salade, des mensonges, des hontes, des surprises en forme de cornet bleu pailleté.

4. Attendez ! Je vous l’emprunte une seconde :
« Je ne suis jamais né(e) ».
Merci.

11.2.06

Antoine Dole, crayon


Né à Bled City, capitale de Nowhere, quelque part en Savoie. Par accident peut être. L’enfance se passe paisiblement sur un rayon de deux kilomètres autour de la maternité, jamais bien loin du point d’impact. La vocation très vite : « Quand je sera grand, je sera crayon ». Au lycée, prof de français veut faire plier « ta façon d’ecrire n’est pas assez académique pour que tu deviennes un jour ecrivain, oublie ça », sèche donc les cours et découvre alors la littérature contemporaine, comment tout peut être fractionné, brisé, reconstruit ensuite, autour du message, les mots comme une matière malléable et organique à soumettre à son propre langage. Découvre dans le rap une inspiration supplémentaire. Découvre dans le quotidien plein de choses qui l’empêchent de se taire. Alors écris. Un recueil de nouvelles puis un premier roman publié récemment. Des textes pour des groupes de rock et de rap. Et puis là, à 24 ans, termine son deuxième roman, cherche un éditeur qui soit le contraire de ce qu’on entend.
Dans la liste des mots qu’il consigne dans son petit carnet on peut trouver : absurde, risotto, invraisemblable…
Son site internet : www.ADnonyme.net

10.2.06

Pablo Krantz aux mille métiers

Je suis chanteur et écrivain. Je suis né à Buenos Aires en 1970. J’ai sorti en Argentine trois disques de rock (dont un en français, « Les chansons d’amour ont ruiné ma vie ») et deux livres de nouvelles. Je viens de publier mon premier livre en français, « Le Saint Cleptomane et la fille au vagin doré », aux Petits Matins. J’ai travaillé comme journaliste, traducteur, interprète, enquêteur, professeur de guitare, d’espagnol, de français, de dissertation et commentaire composé, de kung-fu, de mathématiques, comme d’une lingerie, sous-titreur de films pornographiques, éditeur de livres de psychanalyse, musicien professionnel, parolier de tubes encore inconnus. Je suis en train d’enregistrer un album en français qui paraîtra à la rentrée 2006, et de monter un trio pour le présenter sur scène. Je travaille beaucoup. Je bois un peu plus ces derniers temps. Je me couche tard. Je compte rester en France. J’ai un site Internet : http://www.pablokrantz.com/

Sophie Spandonis, onziémiste

Sophie Spandonis est née à Paris XIe et vit à Paris XIe, ce qui la destinait sans doute à écrire pour une revue baptisée Rue Saint-Ambroise. Si un jour elle tombe sur une galerie dénommée Rue de la Roquette ou Avenue Ledru-Rollin, elle exposera peut-être quelques photographies. Et si d’aventure, au hasard de ses promenades, elle découvre une salle de spectacle répondant au nom de Boulevard Richard-Lenoir ou de Place Léon Blum, elle osera peut-être quelque performance dansée. Plusieurs fois par an, elle franchit le périphérique pour se rendre à l’aéroport et s’oblige à gagner des destinations lointaines, plein est ou plein ouest, parfois au sud, jamais au nord, pour éprouver le plaisir de redécouvrir ensuite le XIe d’un œil neuf. On peut parler d’un cas assez rare de onziémite aiguë. Le virus ne se transmet pas par le web.

http://www.sophiespandonis.com

9.2.06

Julien Thèves, pas très occupé

Julien Thèves est né à Strasbourg. Il écrit beaucoup, depuis très longtemps, trop peut-être. Enfin, il n'écrit pas trop, ça dépend. Ca l'occupe. Il fait de la radio mais pas de cinéma. Il aurait voulu faire du cinéma, il en refera peut-être un jour. Il aime tout ce qui touche au monde, ce qui permet de le prendre, de le capter, de le recréer ; de le changer. Il n'est pas très occupé alors si vous voulez vous pouvez lui écrire par le blog...

7.2.06

François Teyssandier

Né en gironde, dans les vignes du Seigneur. Après une adolescence consacrée à la poésie et aux mistrals gagnants, entame des études littéraires et théâtrales à Bordeaux. En Mai 68, dresse une barricade dans le jardin de ses parents. Sa mère le gronde. Il rentre dans le rang. Est appelé sous les drapeaux. Réussit à faire son service militaire dans un bataillon de Chasseurs Alpins sans savoir skier. Devient expert dans le maniement de la serpillière et le démontage de fusil les yeux fermés. Finit soldat de 1ère classe. Démobilisé, monte à Paris avec pour seul bagage une valise en simili cuir, pour y brûler les planches. Y parvient de temps en temps. Monte et joue une de ses pièces. Aux abords des quarantièmes rugissants, s'oriente vers l'enseignement. Connaît quelques succès littéraires grâce à l'appui d'Alain Bosquet qui le découvre et le publie. Se réfugie ensuite dans le silence, mère de tous les vices. Ecrit beaucoup. Mais perd beaucoup de ses textes car la plupart étaient écrits à l'encre sympathique. Recommence à publier à l'aube du XXIème siècle pour le plus grand malheur de l'humanité. Grand sportif (pelote basque, tennis, tennis de table), ne s'est jamais dopé. N'a donc jamais percé, si ce n'est quelques furoncles. Sur le plan culinaire, aime tous les bons plats, sauf la cervelle de singe. N'a pas de chien, car il est allergique aux poils de chameau. Projet d'avenir: perdre sa dernière dent le plus tard possible !